mardi 17 février 2015

Christian Petzold / Phoenix



Christian Petzold
Phoenix


Drame réalisé en 2014 par Christian Petzold
Avec Nina Hoss , Claudia Geisler , Ronald Zehrfeld ...
Date de sortie : 28 janvier 2015

SYNOPSIS

En juin 1945, Lene Winter aide son amie Nelly Lenz à revenir à la vie. Celle-ci, survivante des camps, a perdu toute sa famille. Défigurée, elle se fait reconstruire le visage et ne ressemble plus tout à fait à ce qu'elle était. Passionnément amoureuse de son mari Johnny, un pianiste, cette ancienne chanteuse part à sa recherche et le retrouve dans un cabaret berlinois. Il ne la reconnaît pas mais trouve néanmoins qu'elle ressemble à sa femme qu'il croit morte. Il lui propose un étrange marché : Nelly, qui se fait appeler Esther, doit se faire passer pour la défunte. Il pourra ainsi récupérer son héritage. Nelly accepte de se prêter à cette mystification, contre l'avis de Lene...




LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 28/01/2015

Le cinéma de Christian Petzold est habité par les spectres, au sens propre (Yella, 2007) ou figuré (Fantômes, en 2005). Nelly Lenz, l'héroïne de son nouveau film, revient, elle aussi, d'entre les morts. Cette chanteuse berlinoise est la seule de sa famille à avoir survécu à Auschwitz. Mais dans quel état... Grièvement brûlée, la face recouverte de bandelettes comme les victimes du savant fou des Yeux sans visage. Le chirurgien qui la soigne est catégorique : Nelly pourra retrouver figure humaine — et même ressembler à une star de cinéma si elle le désire — mais pas ses traits d'autrefois. La jeune femme se résigne à changer d'apparence physique, puis à quitter sa terre natale pour s'installer en Israël, à l'invitation de son ange gardien Lene, employée de l'Agence juive. Mais avant de rejoindre Haïfa, elle veut tenter de retrouver son mari, Johannes. Elle finit par dénicher sa trace au Phoenix, un cabaret de la zone d'occupation américaine dont le luxe, les lumières rouges hypnotisantes, semblent irréels dans le Berlin en ruines de 1945. Johannes, ex-pianiste de renom devenu garçon de salle, ne reconnaît pas sa femme, qu'il croit morte dans les camps. Mais, tout de même, la ressemblance est troublante... Et il compte bien l'exploiter. Car les parents de Nelly, disparus en déportation, étaient riches, très riches. Seul moyen de récupérer leur fortune : faire croire à tout le monde que leur fille est encore de ce monde. Johannes va donc proposer à la belle inconnue de prendre l'identité de sa défunte épouse, le temps de toucher l'héritage...

Dans le huis clos de la cave insalubre qui sert d'appartement à Johannes débute alors une relecture vertigineuse du mythe de Pygmalion. Celle qu'avait déjà entreprise Hitchcock dans Vertigo (Sueurs froides). Comme le détective interprété par James Stewart, Johannes métamorphose une vivante en sosie d'une femme qu'il croit morte, sans savoir que la « copie » est « l'originale ». Il corrige les postures de sa Galatée, change sa coiffure, lui fait porter les habits chic de la Nelly d'avant. Un projet insensé ? Pas tant que ça : quand sa « créature » lui fait remarquer que personne ne croira revenue des camps une femme avec une robe de soirée rouge sur le dos, il lui répond que la sidération de la retrouver en vie sera plus forte. Et que personne ne lui posera de questions sur Auschwitz pour s'éviter l'effroi du souvenir...Phoenix se démarque toutefois de Vertigo sur deux points : Johannes n'est plus amoureux de la femme qu'il tente de recréer et qu'il a peut-être trahie. Quant à Nelly, elle rêve d'être démasquée, pour que son mari finisse par reconnaître derrière son nouveau visage celle qu'elle fut — et qu'elle croit être encore.

Pour porter ce suspense sentimental troublant, Petzold a repris le formidable duo deBarbara, son précédent (et déjà superbe) film. Ronald Zehrfeld et Nina Hoss jouaient un couple qui découvrait l'amour. Dans Phoenix, l'amour est déjà perdu... Lui impressionne autant par ses explosions de violence que par sa soudaine fragilité, quand son personnage est rattrapé par les émotions qu'il a refoulées. Elle exprime la résilience d'une femme meurtrie avec une intensité de tous les plans. Le réalisateur met en scène cette renaissance comme un récit surnaturel, à la manière de Jacques Tourneur, entre angoisse et mélancolie. Dans l'Allemagne d'après la catastrophe nazie, le fantastique naît du quotidien. Et Nelly, la revenante, devient plus incarnée, plus vivante que les vivants. — Samuel Douhaire

Samuel Douhaire


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