samedi 1 août 2015

Les dernières heures d'Amy Winehouse

Son dernier concert à Belgrade, le 18 juin 2011, s’était mal terminé. A cause de l’alcool.

LES DERNIÈRES HEURES 

D’AMY WINEHOUSE

BIOGRAPHIE


La chanteuse très soul et très seule ne s’est pas suicidée. Les analyses ont parlé : elle a noyé son mal-être dans l’ alcool. Découvrez en avant-première sur ParisMatch.com un long extrait du récit poignant de notre reporter. La suite et la fin dès demain dans le magazine Paris Match.


Amy peine à saisir son téléphone. Dans un moment de lucidité, elle écrit à son ami Kristian Marr ce SMS étrange : « Je serai là pour toujours. Et toi ? » Il est 3 heures du matin, la nuit du 22 au 23 juillet 2011. Elle est dans son lit, au troisième étage de sa maison, en face de Camden Square. Elle a bu. Elle s’endort, hagarde. Elle a déjà vécu cette situation, se sentir lourde, écrasée, abrutie par la boisson. Son garde du corps, monté la voir quelques minutes auparavant, n’a rien décelé d’anormal. C’est le même qui va jeter un coup d’œil dans sa chambre, vers 10 heures du matin. Elle ne bouge pas. Il ne s’inquiète pas. Il y retourne en début d’après-midi, perturbé par ce silence soudain gênant. « Amy ? » Pas de réponse. Il ouvre la porte, marche vers elle. « Amy ? » Il découvre la chanteuse inanimée dans ses draps.



Après trois mois de mystère, les premiers tests toxicologiques pratiqués sur le cadavre excluront une overdose de drogues, sans préciser la cause exacte du décès. Les résultats définitifs indiquent un taux de 4,16 grammes d’alcool par litre de sang au moment de la mort. Un taux de 0,5 interdit de conduire ; 3,5 est le point limite, la partie du cerveau qui commande la respiration est atteinte. Winehouse a bu comme un trou, une fois de plus, une fois de trop. Il n’y avait même pas de verre au pied de son lit, simplement trois bouteilles de vodka vides. Elle a sombré dans un coma éthylique qui a pu entraîner un vomissement dans les bronches, un refroidissement de la température corporelle ou une crise d’épilepsie. Selon les conclusions de l’enquête, sa mort est « accidentelle ».


« Elle n’était pas suicidaire, elle avait des projets »

Depuis quelques années, c’était son truc à Amy, le yoyo alcoolisé. Dès qu’elle allait trop loin, qu’elle se sentait pitoyable, elle s’arrêtait net de boire. Ces périodes de sobriété forcée se prolongeaient deux, trois semaines. Mais elle y revenait toujours, plus fortement. Après le désastre du concert de Belgrade, le 18 juin, où elle était apparue pathétique, titubante, ruminant des paroles inaudibles sur scène, elle avait tout stoppé. Elle voulait s’en tirer, chanter à nouveau, aimer, vivre. Elle a tenu trois semaines. Jusqu’au 20 juillet où elle est aperçue, après le concert de sa filleule, Dionne Bromfield, avalant des rasades de gin et de Red Bull. Winehouse, ­capable d’osciller entre l’euphorie et la noirceur en une fraction de seconde, était si imprévisible que son entourage n’a pas senti un danger particulier. La petite les avait trop habitués à se relever.

Sa mère, Janis, lui a rendu une ­visite surprise la veille de sa mort. Elle n’a rien pu empêcher, seulement constater l’étendue des dégâts. « Elle avait l’air ailleurs, perdue. Ce n’était qu’une question de temps. » Elle adoucira cette vision macabre plus tard : « Elle pouvait dormir des heures et avoir toujours l’air de se réveiller. Nous avons bu un thé, regardé des photos de famille… Quand je suis partie, elle m’a serrée dans ses bras et dit : “Maman, je t’aime.”» La santé d’Amy était surveillée depuis quatre ans par le Dr Cristina Romete. Elle est venue à son domicile ce jour-là, vers 19 heures. Elle lui avait prescrit depuis peu du Librium, un médicament qui aide à combattre les crises d’anxiété liées au sevrage. Elle constate qu’Amy boit à nouveau. Mais ne s’affole pas. « Amy était pompette mais pouvait soutenir une conversation. » Lorsque Romete lui demande si elle a l’intention d’arrêter de boire, Amy hésite : « Je ne sais pas. » Et le médecin de conclure : « Elle n’était pas suicidaire, elle avait des projets. Elle m’a dit : “J’ai encore des choses à faire dans la vie.”» Ce qui suffit pour rassurer un médecin…

Elle quitte sa patiente vers 20 heures, sans imaginer la suite funeste. Ce qui peut se comprendre ; 2011 n’est pas 2008, annus horribilis de la chanteuse. Amy ne cache plus des fioles de cocaïne dans sa perruque. Amy ne partage plus de pipes à crack avec Pete Doherty en rigolant devant des souriceaux. Amy ne se scarifie plus les bras pour atténuer la douleur du manque d’héroïne. Son ex-mari, l’affreux Blake Fielder-Civil, l’homme qui lui fit découvrir ces belles substances, dort en prison pour cause de cambriolage raté. Alors, quelques verres en début de soirée, ce n’est rien…

Au cours de ce dernier été londonien, elle va raisonnablement mal. « Amy ne faisait pas grand-chose, je crois qu’elle était très isolée », dit un photographe qui l’a suivie des années durant. Ses chères copines des débuts, Juliette Ashby, Remi Nicole, ne sonnent plus chez elle à l’improviste. Elle ne joue plus au billard des nuits entières, comme avant, dans son garage ou à l’étage de son pub préféré, The Hawley Arms. Elle s’ennuie. Ce n’est plus la passion avec son petit ami par intermittence depuis deux ans, le réalisateur gominé Reg Traviss. Elle l’aime bien, mais il n’a jamais remplacé Blake le terrible. Reg l’avait quittée en février, puis en mai, effrayé par ses abus et ses coups de fil réguliers à Blake en prison. Aujourd’hui, il révèle un projet de mariage imminent, guère crédible. Il joue le rôle du gendre idéal, et éternel. Et comment ne pas rire jaune lorsque Reg Traviss explique, avec la bénédiction de la famille Winehouse, combien Amy était une « femme normale, saine, en bonne santé » ! Sur une autre planète, peut-être.

Mais dans le nord de Londres, le soir du vendredi 22 juillet, Winehouse a enquillé les shots jusqu’à l’encéphalogramme plat. D’après un proche de Reg, lui et Amy se seraient vus, auraient bu quelques coups. Ce qu’il nie avec une candeur désarmante : « J’ai terminé le travail tard vendredi et, comme je n’ai pas réussi à la joindre, j’ai pensé qu’elle s’était assoupie. Je lui ai envoyé un SMS pour lui signifier que j’allais regarder un DVD, qu’elle me fasse signe dès son réveil. Je trouvais étrange de ne pas avoir de ses nouvelles. En sortant de chez le coiffeur, j’ai vu sur mon téléphone un appel manqué provenant du numéro de son garde du corps. Je ne me suis pas inquiété, elle perdait toujours son portable, elle avait dû utiliser le sien. Je n’ai pas rappelé, je suis passé à mon bureau chercher mes chaussures. » Il sait pourtant qu’il parle d’Amy Winehouse, une fille sauvée par miracle d’overdose à plusieurs reprises, une fille qui remplaçait une addiction par une autre, une fille qui recommençait à boire depuis peu, une fille qui venait d’envoyer un SMS à un autre au milieu de la nuit, Kristian Marr qui ne l’avait pas vue ­depuis six semaines.

«Elle était sur la bonne voie»

Pourquoi un signe maintenant ? Il ne comprend pas, mais se souvient de leur ultime moment ensemble : « On regardait “Scarface” sur son canapé. Amy voulait acheter de l’alcool. Je l’ai convaincue de se contenter de thé. On s’est endormi. Et j’étais heureux, sachant qu’elle était sur la bonne voie. » Elle a déraillé. Un certain Tony Azzopardi a déclaré avoir été « attrapé » dans la rue et emmené en taxi par Amy, ce soir-là, afin qu’il la mette en contact avec un dealer de West Hampstead. Celui-ci lui aurait fourni pour 1 200 livres de crack et d’héroïne. Tony a rajouté devant les policiers qu’elle avait fumé du crack sous ses yeux, dans le taxi, en se plaignant du harcèlement de Blake. Mais quel crédit accorder à un vieux junkie sans le sou, alcoolique, prêt à tout pour quelques billets ? D’autant que les tests toxicologiques sont vierges de traces de stupéfiants.

Est-ce ainsi que meurt une star de 27 ans ? Si seule ? Négligence coupable de l’entourage ? Andrew Morris, son costaud bodyguard, revenait de vacances. Son médecin traitant a remarqué un état d’ébriété léger. Il n’a alerté personne. Ces gens ont oublié sa nature versatile, bipolaire, dépressive. Sa mère l’a trouvée comme d’habitude, endormie puis éveillée, joyeuse puis mélancolique. Elle se préparait au pire depuis si longtemps qu’elle avait fini par se convaincre que cela n’arriverait plus. Son père avait habité quelques mois avec elle pour la protéger. C’était invivable. Il réside dans le Kent, à une heure de la capitale. Reg l’avait abandonnée à ses démons, sans penser à mal.

Seule sa grand-mère chérie, Cynthia, aurait pu la raisonner. Toutes deux écoutaient les divas tristes Dinah Washington et Sarah Vaughan. Cynthia, surnommée « Nan », lui racontait son aventure avec le saxophoniste de jazz Ronnie Scott ; Amy, ses turpitudes d’adolescente, son expulsion de la prestigieuse école de théâtre ­Sylvia Young pour un piercing trop évident, son amour des uniformes des serveuses américaines des années 50… Amy faisait alors l’effort de respecter ces ­rendez-vous hebdomadaires. Nan est décédée d’un cancer du poumon en 2006. Amy ne s’est plus jamais soumise à une quelconque discipline. Sa chanson « Rehab » témoigne de cette obstination à n’en faire qu’à sa tête. Elle avait trompé la mort si souvent ! Le temps des soirées à errer, défaite, avec Blake, les ongles noircis par le crack, les bras couverts d’égratignures, les jambes pleines de bleus, était révolu. Son malaise, moins visible, demeurait.



La carrière d'une comète



En trois ans, laps de temps qui sépare le premier album, « Frank », du ­second si intense, « Back to Black », la douleur, le désespoir, le regret, la drogue, la dépendance lui avaient taillé une voix puissante, sombre, celle d’une femme mûre et triste. Elle n’a plus jamais été capable de réitérer l’exploit, mettre ses maux en musique. Sa carrière s’est donc achevée en 2006, à 23 ans. Une comète. Ses capacités pulmonaires étaient diminuées par un début d’emphysème diagnostiqué en 2008. C’est jeune pour une maladie de vieux. On entend son timbre abîmé, fêlé par les excès sur « Body and Soul », duo avec son idole, Tony Bennett. Son dernier enregistrement. L’absence de jus, d’énergie, y est flagrante. Elle n’avait plus de coffre. Etait-ce irrémédiable ? Amy paraissait paniquée à l’idée de rechanter en public ou de remettre les pieds en studio. Elle adorait la musique, ses virées à Camden, mais la fraîcheur et l’enthousiasme s’étaient émoussés. Elle était riche, elle s’en fichait. 4,16 grammes. Elle s’est assommée. Sa mort le 23 juillet est un accident. Elle aurait pu survenir des mois, des années auparavant. Sa vie fut aussi brève que ses tourments furent ­interminables. Un long suicide, entrecoupé de moments furtifs de joie, de ­sursauts passagers. Le destin bouclé d’une fille vidée avant la trentaine.




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