vendredi 25 décembre 2015

Katherine Mansfield / L'éternelle vagabonde


Katherine Mansfield
Katherine Mansfield

L'éternelle vagabonde


 Par André Clavel (Lire)
Publié le 01/11/2006 à 00:00


Katherine Mansfield, c'est une petite s"ur de Rimbaud surgie des antipodes: une très grande dame des lettres britanniques, mais aussi une voleuse de feu qui ne cessa de s'immoler sur les brasiers de l'absolu.

Katherine Mansfield, c'est une petite s?ur de Rimbaud surgie des antipodes: une très grande dame des lettres britanniques, mais aussi une voleuse de feu qui ne cessa de s'immoler sur les brasiers de l'absolu. Diable au corps, semelles de vent, frange d'ébène, elle incarnait l'ivresse et l'aventure, comme un météore en perpétuelle incandescence. Morte trop jeune, fauchée par la tuberculose sans avoir jamais pu s'attacher nulle part, elle restera l'éternelle vagabonde des années 1900: toujours en quête de lumière, elle s'escrima à vivre - et à écrire - à la vitesse de l'éclair. C'est sans doute pour cette raison qu'elle composa tant de nouvelles, le genre le plus fulgurant de la littérature. «Pas de romans, pas d'histoires compliquées, rien qui ne soit simple et ouvert», note-t-elle dans son éblouissant Journal. 
Sa vie? Un trait de foudre. Née en 1888 en Nouvelle-Zélande dans une famille de la bourgeoisie puritaine, Katherine Mansfield découvrit Londres à 14 ans, suivit les cours du Queen's College et s'en revint au pays natal en 1906, avant de se réfugier à nouveau dans cette Angleterre libératrice qui lui permit d'échapper aux carcans et aux interdits familiaux. C'est là qu'elle se maria, divorça, puis rencontra John Middleton Murry, un ami du groupe littéraire de Bloomsbury qu'elle épousa en 1918. Mais ce fut encore un mariage orageux, à l'image du bref destin de cette nouvelliste tchékhovienne dont la santé fut aussi délicate que sa prose: après de longs séjours en Bavière, en Provence, en Italie et en Suisse, elle mourut en janvier 1923, à 34 ans, dans cet institut Gurdjieff de Fontainebleau qui ressemblait à un goulag pour illuminés. Quelques mois avant de s'éteindre, terrassée par une quinte de toux, elle avait écrit dans son Journal ces mots qui sont une sorte d'autoportrait: «Dans le jardin d'automne, les feuilles tombent. Petits pas qui se posent, comme un chuchotement léger. Ils dansent, tourbillonnent, virevoltent, frémissent.» 
Elle aussi virevoltante et frémissante, Katherine Mansfield s'envola en laissant cinq volumes de nouvelles étincelantes: Félicité, La garden party, Le nid de colombes, Quelque chose d'enfantin et Pension allemande. Que s'y passe-t-il? En apparence, presque rien. Des instants de vie, des moments fugitifs, des murmures, quelques rides à la surface du quotidien. Aussi vive et subtile qu'une Virginia Woolf, Katherine Mansfield est une pointilliste, une ballerine qui cueille l'éphémère pour en révéler la pureté, mais également la fragilité. Comme si tout allait sombrer au bout de la phrase, parce que la mort est passée par là: c'est impalpable, c'est toute la vérité, toute la tragédie de la vie saisie entre les mailles d'une écriture qui s'agrippe à l'enfance, aux souvenirs, au présent, à la lumière, à la magie d'un paysage ou d'une rencontre, au parfum d'un magnolia, à l'insoutenable légèreté des choses. 
La littérature, pour Katherine Mansfield, s'apparentait à une bourrasque: un art de la fugue. «Elle a aboli toutes les données narratives pour que la réalité seule émerge sous nos yeux. Elle fondait son écriture sur un emploi extrêmement avisé de la réticence», a noté Pietro Citati dans Brève vie de Katherine Mansfield (Quai Voltaire), un remarquable essai consacré à ce «papillon qui avait soumis ses ailes à l'épreuve du vent». 
Son destin, comme celui des elfes qui ne veulent pas grandir, fut de glisser peu à peu de «l'autre côté», de disparaître dans cet univers parallèle qui se dessine par-delà les miroirs, par-delà toutes ces grisailles de l'ordinaire. Par où commencer pour découvrir Katherine Mansfield? Par ses nouvelles, bien sûr (elles ont été rééditées en février dernier chez Stock), mais aussi par cette petite merveille qu'elle écrivit à Bandol en 1916, L'aloès (Pocket): dans cette évocation de son enfance en Nouvelle-Zélande, deux fillettes font provision d'innocence dans une vaste maison inondée de bonheur, aux portes d'un paradis qui sent la rhubarbe et le réséda. Tous les parfums d'un monde oublié sont là, dans la ronde magique du temps retrouvé, au pied d'un gigantesque aloès qui ne fleurit que tous les cent ans... Sa fleur, Katherine Mansfield ne la vit jamais éclore, mais elle en avait la grâce. Sa fréquentation est exquise, même si sa frêle silhouette d'amazone foudroyée était sertie de ténèbres. 


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