mercredi 23 décembre 2015

Nouvelles de Katherine Mansfield

Katherine Mansfield

Nouvelles de Katherine Mansfield


Le mercredi 24 novembre 2004 
par Mc BERNICK

Quoi de plus difficile qu’évoquer l’œuvre de Katherine MANSFIELD pour qui n’a jamais lu une seule de ses nouvelles ? ... Car la Néo-Zélandaise qui se disait « si peu anglaise », auteur par ailleurs d’un étonnant « Journal » où elle dissèque son besoin d’écrire, d’une correspondance passionnante et de fort beaux poèmes est avant tout LA Grande Dame de la Nouvelle.

Elle vit le jour à Wellington, en 1888. Sa famille paternelle, les BEAUCHAMP, avait probablement des origines françaises mais c’est à sa grand-mère, la référence principale de son enfance, que Katherine empruntera son nom de plume. Enfant atypique, adolescente boulotte, elle rentre très vite en guerre contre les idées toutes faites et bien-pensantes. L’idole qu’elle se choisit à l’époque n’est-elle pas le symbole par excellence de l’Anti-Conformisme ? C’est en effet à Oscar WILDE, ciseleur de pièces théâtrales cyniques et auteur d’aphorismes éblouissants, qu’elle dresse son premier autel littéraire. Elle lui empruntera son ironie et la cruauté de façade derrière lesquelles l’Irlandais scandaleux dissimulait cette sensibilité d’écorché vif dont ses « Contes et Nouvelles » et sa « Ballade de la Geôle de Reading » demeurent les plus beaux joyaux.

Seconde idole de Katherine : Anton TCHEKHOV, l’un des pères de la littérature russe moderne, maître jusque là inégalé du « rien » que le génie de l’écriture transforme en le plus vaste des mondes l’espace d’une nouvelle ou d’une pièce. Le « rien » ... Quiconque a lu TCHEKHOV, quiconque a vu évoluer ses personnages sur la scène, sait ce que tout ce mot qui est un néant peut contenir de vie, de tristesse et de joie. Avant PROUST et en oeuvrant dans un domaine auquel l’auteur français ne s’attaquera jamais, l’écrivain et dramaturge russe affronte le problème majeur auquel se heurte l’artiste, quel que soit l’art dont il se réclame : la capture et la préservation du Temps mais aussi sa transmission à la mémoire de l’Autre.

Le coup d’œil implacable, la férocité souriante de WILDE, Katherine MANSFIELD les exerce pleinement dans « Pension Allemande », recueil qui rassemble un maximum de ses toutes premières œuvres. On y voit souvent des Allemands qui frisent la caricature s’ébaubir des étranges façons de l’héroïne, double de Katherine MANSFIELD, déjà en cure à l’époque. Si « La Sœur de la Baronne » se gausse cruellement de leur sens de la hiérarchie et des mauvais tours que peut leur jouer celui-ci, des nouvelles comme « Frau BRECHENMACHER assiste a un mariage » et « Chez LEHMANN » sont singulièrement révélatrices de la condition féminine de l’époque. Avec « Un Jour de Naissance » - qui conte en fait la venue au monde de l’auteur et, exception du recueil, ne se déroule donc pas en Bavière mais à Wellington - ces deux nouvelles instruisent également le lecteur sur les problèmes qu’inspirait à MANSFIELD sa condition de femme. « L’Enfant-Qui-Etait-Fatiguée », adaptation très libre de TCHEKHOV, a quant à elle l’étrange et glaçante résonance d’un fait-divers qui pourrait encore survenir à notre époque sans que les voisins se préoccupent du drame avant qu’il ne se soit produit.

Par la suite, toujours dans la lignée de WILDE, MANSFIELD perfectionnera ses coups de griffes. C’est que l’âge et l’expérience sont impitoyables. Comme est impitoyable le portrait de ses parents qu’elle dresse en 1910 dans « Les Robes Neuves. » Plus nuancé certes, le portrait du Père dans « La Petite Fille », deux ans plus tard. Mais la rancœur est toujours présente. Il faudra attendre le décès du frère de Katherine, Lawrence, en 1915, pour qu’elle se réconcilie plus ou moins avec son enfance et sa famille et décide d’offrir à la mémoire de ce frère avec qui elle a tant partagé un mausolée qui fera date : « Prélude. » Rédigée en 1916, la nouvelle ne sera éditée que deux ans plus tard par la Hogarth Press de Leonard et Virginia WOOLF.

« Prélude » - qui fut unanimement salué par la critique - « Prélude » ne se raconte pas, « Prélude » ne s’analyse pas. « Prélude » est un texte, certes, mais c’est aussi un tableau qui s’anime en vous et dont, par un miracle inexpliqué, vous devenez le plus intime des rouages, un court-métrage où, à l’image de l’héroïne de « La Rose Rouge du Caire », vous entrez de plein pied mais tout en douceur, un ciel depuis longtemps obscurci qui s’éclaire à nouveau et rien que pour vous ... « Prélude » est le Souvenir qui s’est fait Livre et la madeleine de PROUST assaisonnée selon la recette anglo-saxonne de l’Efficacité et de la Concision.

« Sur la Baie » et « La Maison de Poupées » où l’on retrouve les mêmes personnages et la même grâce, intacts, intemporels, ne se racontent pas, eux non plus.

Bien sûr, il y a d’autres nouvelles aussi puissantes, parfois plus comme « Félicité » ou « La Femme de la Cantine » ou encore « Quelque chose d’Enfantin ... » et la très célèbre « Garden-Party » que WILDE aurait encensée tant pour sa justesse du détail que pour son côté impitoyable et presque insoutenable.

Mais c’est dans « Prélude » que MANSFIELD s’affirme comme la digne héritière de TCHEKHOV tout en se démarquant de la « patte » du Maître. « Prélude » signe sa majorité littéraire et c’est par cette nouvelle qu’elle prend rang dans le cercle très fermé des Grands Ecrivains spécialistes du « court », auprès de MAUPASSANT, une autre de ses idoles mais aussi de Somerset MAUGHAM.

La Postérité immédiate a privilégié l’œuvre de Virginia WOOLF - qui, consciemment ou non, s’inspira pourtant de MANSFIELD en maintes occasions, notamment pour « Mrs DALLOWAY » - au détriment de celle de la jeune Néo-Zélandaise. Sans doute la vie agitée de WOOLF, ses amours incestueuses avec son frère, son mariage plus ou moins « blanc » avec Leonard et son amour pour Victoria SACKVILLE-WEST sans oublier ses troubles mentaux et son suicide, les poches pleines de pierres, constituent-ils un bien meilleur terreau pour la légende que le comportement anorexique, les amours plus conventionnelles, et la tuberculose de Katherine MANSFIELD. Mais cette préférence imposée par la mode plus que par l’originalité de l’œuvre de WOOLF constitue un véritable handicap pour le lecteur moyen autant qu’une terrible injustice pour MANSFIELD, écrivain-née, qui douta jusqu’au bout de son talent et ne songea certainement pas un seul instant de sa courte vie qu’elle avait du génie.

Dans son « Journal », elle écrivait en novembre 1921 : « ... [...] Mon plus profond désir, c’est d’être un écrivain, c’est d’avoir fait « une œuvre. » Et le travail est là, les histoires m’attendent, se fatiguent, se flétrissent, se fanent parce que je ne veux pas venir. Moi, j’entends, je reconnais leur présence, et je continue pourtant à rester assise à la fenêtre, jouant avec la pelote de laine. Que faut-il faire ? ... Mon Dieu, rends-moi limpide comme le cristal pour que ta lumière brille à travers moi ! [...] ... »

Divine ou pas, c’est bien une lumière absolument unique qui illumine en tous cas ses nouvelles.


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