jeudi 21 janvier 2016

Ettore Scola / Mes dates clés

Ettore Scola

MES DATES CLÉS 

PAR ETTORE SCOLA

Par Ettore Scola
14 juillet 2004 à 01:26
En 2004, pour la reprise de Nous nous sommes tant aimés, Ettore Scola revenait sur les dix dates clés de sa vie. Nous republions ce papier à l'occasion de sa mort, le 19 janvier 2016.
Nous nous sommes tant aimés (1976), c'est trente ans d'histoire italienne (1945-1975) vue à travers la vie privée et professionnelle de trois amis, anciens résistants. L'un est infirmier (Nino Manfredi), le second critique de cinéma (Stefano Satta Flores), le troisième avocat véreux (Vittorio Gassman). Une femme (Stefania Sandrelli) passe de l'un à l'autre... A l'occasion de sa reprise en copie neuve restaurée, Ettore Scola revient sur une vie consacrée à l'écriture et à la mise en scène d'histoires douces-amères.
1947. Mon premier dessin, publié dans Marc Aurelio, un hebdomadaire satirique, alors que j'avais 15 ans. C'était mon désir le plus cher, être dessinateur, caricaturiste. Je le fais toujours : croquer des portraits, des scènes, un simple trait avec une légende, ce qu'on appelle en Italie des «vignettes». Ce premier dessin publié représente un sculpteur appuyé le long d'une échelle contre un grand bloc de marbre. Devant lui, il y a un modèle, nu, une très belle femme. Et il lui dit, le burin à la main, «Souriez...» J'étais très fier.
1950. L'un de mes premiers emplois comme «negro» sur un scénario, pour les dialogues ­ je n'étais bien sûr pas crédité au générique, ou alors parfois collectivement. Là, c'est sur un film de Martelli, Toto Tarzan, qui se passe en Afrique. Une fille superbe se promène dans la jungle. Tout à coup, elle rencontre Tarzan, joué par l'acteur comique Toto, qui tient un singe à la main. Il lui dit : «Moi, Tarzan, elle Tchita, toi Sexy...» C'était au début du film et ça m'a valu un succès fou.
1952. Début officiel de ma carrière officielle de scénariste officiel de la comédie italienne. Pendant quinze années, j'ai écrit les histoires de Monicelli, Zampa, Comencini, Risi, Pietrangeli. Ce fut un travail harassant, avec des horaires épuisants, parfois trois ou quatre projets se chevauchant. Mais ce fut aussi une bonne école, car il est très excitant d'écrire un scénario pour de grands acteurs, et il y en avait de vraiment sublimes en Italie à cette époque. De Sica, Gassman, Manfredi, Sordi, Tognazzi, Mastroianni, je les ai tous rencontrés comme scénariste, et ce fut la meilleure façon de les connaître en profondeur.
1957. Mariage avec Gigliola. Je suis heureux en couple, un long roman d'amour, ponctué par la naissance de deux filles, puis de cinq petits enfants.
1963. Mon premier film comme réalisateur, Parlons femmes. C'est Vittorio Gassman, pour qui j'avais écrit une dizaine de films, qui m'a demandé de tourner moi-même un script que je lui destinais.
1968. Tournage en Angola de Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique. Alberto Sordi joue une sorte de Berlusconi local, un homme médiocre qui veut tout posséder d'une région africaine, au milieu de la misère. Je crois qu'on a rarement mieux joué dans un de mes films cette veulerie et cette mesquinerie dans la satire et le comique. Sordi était le plus à même de comprendre et de faire ressortir ce sentiment typiquement italien.
1969. Drame de la jalousie, où Mastroianni joue un homosexuel honteux, timide et introverti, à peu près le contraire de son personnage au cinéma habituellement, et de l'homme qu'il était dans la vie. Mais ce fut peut-être sa plus formidable composition, car cela correspondait sans doute à une part très secrète de son roman personnel. Quand je travaillais avec des acteurs que je connaissais bien, je savais ce qu'ils pensaient de la vie, de la politique, des femmes, de l'amour, de la bouffe, et c'était pour moi l'occasion de les utiliser comme je le voulais, quitte à les prendre parfois à contre-pied.
1977. Une journée particulière. Encore deux contre-emplois : Sophia Loren en petite femme mal mariée, et Marcello Mastroianni en timide, hésitant, incapable de prendre une décision. A force d'écrire pour eux, ce sont des éléments de leur nature la plus secrète que je connaissais et mettais à nu, des choses que, généralement, ils s'empressaient de cacher au grand public.
1982. Pendant le tournage du Bal, à Paris, je fais un infarctus. Interruption du film, et de ma vie, pendant près d'un an. Puis reprise, avec les mêmes acteurs. Tout se refait autrement, ça va beaucoup mieux. La maladie a eu une vertu purgative sur mon travail : je suis devenu meilleur !
1996-2004. Ils sont tous morts, mes amis les acteurs du grand cinéma italien. Mastroianni, Gassman, Tognazzi, Sordi, et Manfredi récemment. Pas de tristesse, non, car il me reste la joie de les avoir si bien connus et d'avoir travaillé avec eux, et l'émotion de les revoir, encore et encore. Car, pour nous autres mortels, les films restent pour toujours. Et ces acteurs sont plus vivants que les autres : ils apparaissent tels quels. Comme Gassman et Manfredi dans Nous nous sommes tant aimés : le film ne bouge pas, eux non plus. On peut même le restaurer, ils reviennent comme au premier jour où nous nous sommes vus. Ils ressemblent à une femme qui ne vieillirait pas, une femme qui ne trahirait pas.



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