mercredi 13 janvier 2016

Mort de David Bowie / Le mythe raconté en dix histoires intimes

David Bowie

Mort de David Bowie : le mythe raconté en dix histoires intimes

Publié le 11/01/2016. 
Mis à jour le 11/01/2016 à 11h24.
Voilà comment dix journalistes de la rédaction nous avaient raconté leur Bowie à eux à l'occasion de l'expo “Bowie is” à la Philharmonie de Paris en mars 2015 : un concert géant, un juke-box, un rendez-vous manqué... Chacun avait un rapport particulier à l'artiste.
David Bowie n'est plus. « L'homme aux mille visages » est mort des suites d'un cancer à l'âge de 69 ans, le dimanche 10 décembre. Voilà comment dix journalistes s'étaient souvenu de « leur » Bowie à l'occasion de l'expo “Bowie is” à la Philharmonie de Paris en mars 2015 : le moment, la chanson, l'album, le look, l'image, le concert, le film, l'émotion qui ont le plus compté pour eux.

Absolute Beginners, par Marie-Hélène Chabert


Les chansons les plus importantes restent toute notre vie celles de notre adolescence, hors de toute considération esthétique parfois, ce sont elles qui nous ramènent à ce qu'il y a de plus intime et de plus cher, car marquées de la promesse de l'avenir, accompagnant l'absolu des rêves d'enfance, quand tout reste encore à vivre.
Je suis née l'année de Hunky Dory, mon Bowie fut donc celui des années 80, celui de l'album Let's dance, le Bowie sexy du clip de China Girl, le Bowie mystérieux du This is not America, avec Pat Metheny. Mais par-dessus tout, en mars 1986, celui d'Absolute Beginners.
« I've nothing much to offer » : il semblait annoncer la couleur, Bowie, il avait déjà tout donné aux adolescents des seventies, sa glorieuse décennie, il fallait qu'on se contente de ça, mais ces « bam bam bawoooo » d'ouverture étaient pourtant un beau nouveau départ. Ni le solo de saxo, ni le kitsch du clip, ni l'emphase du refrain n'avaient raison de lui : même en 1986, il gardait la classe, David.
« There's nothing much to take » : en avril sortait le film de Julian Temple, et il n'était pas très bon. On sortait déçue du ciné mais on s'en fichait un peu. Presque trente ans après, l'ouverture et le début de couplet de cette chanson nous filent encore des frissons et comme un grand coup en forme d'élan de jeunesse dans la poitrine : I'm an absolute beginner pour toujours, en somme.

Let’s dance, par Marc Belpois


Eté 1983, Foucherans, patelin du Doubs. Le juke-box du bar-tabac est cruel, il n'arrête pas de recracher le tout nouveau tube de Bowie, Let's dance. J'ai beau me concentrer sur la partie de flipper, ça me fiche la nausée (on est excessif quand on a 15 ans). Franchement, c'est quoi ce truc commercial à la mords-moi-le-nœud, David ? Cette intro, bon sang, on dirait The Platters… Et ces cuivres… Et les guitares, elles sont où les guitares ?
Let's Dance, ça veut bien dire « allons danser », non ? C'est donc ça, le Bowie nouveau, un ambianceur… J'irai pas gigoter comme un minet sur une piste de danse, ah ça non ! Mais qu'est-ce qu'ils ont, tous ? Déjà que Police susurre Every breath you take et que Toto nous pourrit les oreilles avec Africa… Je m'en fiche, j'ai mon walkman. Et dedans, il y a la chanson Rebel Rebel. Ça, c'est du Bowie.

Little Fat Man, par Pierre Langlais



21 septembre 2006. Ça doit faire vingt ans que je connais la musique de David Bowie, mais ma relation avec lui prend un tournant inattendu. Déjà, en janvier de la même année, la BBC lançait outre-Manche Life on Mars, un polar rétro bourré de ses tubes jusqu'à son titre.
Et voilà que Ricky Gervais, le créateur de The Office, lui propose de passer une tête dans sa nouvelle comédie, Extras. Une apparition où il joue son propre rôle, celui d'une star intimidante, qui invite Andy, le personnage de Gervais, à s'asseoir cinq minute avec lui dans un café branché. Andy, acteur anonyme, lui raconte sa nouvelle série ratée, se plaint, râle maladroitement. Et Bowie, plein de compassion, de se mettre au piano… pour se payer sa tête de « petit gros pathétique » qui ferait mieux d'en finir avec la vie.
Little Fat Man – c'est le titre de la chanson – repris en chœur par toute l'assemblée sous les yeux d'un Andy crucifié, est devenu un de mes tubes préférés de David Bowie. Même s'il n'en est pas vraiment un. « C'est un de mes héros depuis trente ans, expliquait à l'époque Gervais. Quand je l'ai appelé, il m'a dit "OK, tu as les paroles, je vais te faire un petit truc à la Life on Mars". »
Le résultat est un mélange parfait de Bowie et de Gervais, de mélodie et d'hilarante cruauté. Une réjouissante preuve, pour moi, de sa capacité à ne pas se prendre au sérieux – confirmée pas ses apparitions gratinées dans Zoolander ou dans la sérieDream on (entre autres).

Mauvais Sang, 1986, par Richard Senejoux


Paris, la nuit. Il fait chaud, comme dans L'Etoile mystérieuse, d'Hergé, quand la comète se rapproche de la Terre. Un garçon (Denis Lavant) aime une fille (lumineuse Juliette Binoche). Elle ne l'aime pas, en tout cas pas comme lui voudrait. Une radio joue Modern Love. Aux premières notes, le garçon est pris de convulsions. Se met à galoper dans la rue. La caméra colle à sa course folle et désarticulée, un brin dérisoire aussi. Travelling chaotique et halluciné signé Carax. Inoubliable.

Avais-je rêvé Bowie à Auteuil ? Par Frédéric Péguillan


Dès la mise en vente des places, je m’étais précipité chez Clémentine, feu le disquaire de Montparnasse, pour acheter le précieux sésame. Après Simon & Garfunkel et les Rolling Stones l’année précédente, David Bowie serait seulement le troisième à s’essayer au giga concert à l’Hippodrome d’Auteuil, un exercice rare à l’époque.
J’avais découvert le Thin White Duke quelque temps auparavant, grâce à Stage, disque immortalisant sa tournée de 1978, et ne raffolais pas trop du hit Let’s dance(j’ai changé d’avis depuis), préférant, sur l’album éponyme qui caracolait en tête des ventes, sa version du China Girl d’Iggy Pop avec la guitare de Nile Rodgers, ouCriminal World.
Prévoyant l’affluence (plus de 70 000 personnes) et n’envisageant pas une seconde de savourer le concert avec des jumelles, j’étais arrivé au moins deux heures à l’avance. Ce qui me permit de vivre en direct l’une de ces anecdotes qui font la grande histoire du rock’n’roll. Agacé par la foule réclamant son idole, Kevin Rowland, chanteur des Dexy’s Midnight Runners qui assuraient la première partie, lança au public  « Vous attendez Bowie. Mais savez-vous que Bowie c’est de la merde ? » Une déclaration qui vaudra au groupe de rentrer à l’hôtel par ses propres moyens et d’être remplacé par les Rennais d’Octobre pour la date du lendemain.
Et surtout Rowland avait tout faux. Quand Bowie, très en voix, chevelure blonde peroxydée et élégant costume pêche a débarqué sur scène, j’ai vite compris que j’allais vivre un moment inoubliable. Un de ces shows féeriques à la mise en scène soignée et quasi théâtrale, aux jeux de lumières bluffant pour l’époque, à l’énergie débordante grâce à des musiciens hors pair et bien lookés (le fidèle Carlos Alomar et le revenant déchaîné Earl Slick aux guitares, le puissant Tony Thompson de Chic à la batterie…) et au répertoire bigarré piochant dans toutes les périodes du chanteur, deZiggy Stardust à Let’s dance en passant par Space Oddity.
Tant et si bien que le lendemain matin au réveil, je fus envahi par une sensation étrange, me demandant si j’avais rêvé ou réellement assisté à ce magnifique concert. Alors, des années plus tard, je l’ai revu en vidéo et les souvenirs sont revenus un à un. J’étais bien ce 8 juin 1983 à Auteuil, et c’était beau.

Boys keep swinging, par Valérie Lehoux


Quand son Let's dance a inondé la planète, en 1983, j'avais 15 ans, et tout le lycée s'enflammait pour lui – sauf ceux qui préféraient Michael Jackson, et que bien sûr je regardais de haut. Pourtant, c'est un autre Bowie qui m'aura le plus marquée. Associée à jamais à la subversion – que je lie intrinsèquement à la figure de l'artiste, peut-être à cause de lui.
L'image d'un Bowie double, triple, quadruple, chantant Boys keep swinging, habillé tour à tour en vamp, en fille de joie, en vieille bourgeoise décadente et en dandy… C'était, je crois, à Top of the pops, émission musicale britannique qui faisait rêver les petits Français que nous étions. En tout cas, c'est en Angleterre que je l'ai vue la première fois. Aux alentours de 1981, deux ans après sa première diffusion.
Quel choc ! J'avais laissé derrière moi les émissions des Carpentier avec Sardou, France Gall, dans le meilleur des cas Voulzy – liste évidemment non exhaustive et un tantinet de mauvaise foi –, et où le summum de la provocation tenait dans les déhanchements de La Salsa du démon ; et j'avais subitement sous les yeux un chanteur à la beauté venimeuse et fascinante, qui se jouait des genres, des codes, des bonnes manières, chantant accompagné de guitares très électriques, mais aussi de chœurs.
En rentrant d'Angleterre, je me suis passionnée pour ce drôle d'animal, écoutant tout avidement, découvrant les vieux albums, traduisant les textes. Passant en boucleScary Monsters et Station to station. Allant voir et revoir sept fois Furyo, en 1983, car je retrouvais dans le personnage qu'il y incarnait, ce même trouble ambigu et subversif qui m'avait happée la première fois. Ne ratant bien sûr aucune de ses tournées françaises. Jusqu'à la dernière – un concert à Nice, le 10 novembre 2003, peu de temps avant que des soucis de santé ne l'obligent à s'éclipser.
Pour autant, je n'ai jamais cessé d'écouter Barbara. Ni de plonger, avec la même ferveur, dans le répertoire de Jacques Higelin… Ces trois-là ont balisé mon éducation musicale – et sans doute au-delà. Quel rapport entre eux ? Quelqu'un me faisait récemment remarquer qu'Higelin incarnait une sorte de synthèse entre Bowie et Barbara, ce qui n'est pas faux ; en tout cas, ils sont aussi pour lui deux artistes essentiels, et je ne pense pas que ce soit un hasard.
J'avoue d'ailleurs avoir souri, quand j'ai lu que la chanson China Girl, écrite à quatre mains par Bowie et Iggy Pop (et d'abord enregistrée par celui-ci) au milieu des années 70, aurait été inspirée par la femme qui partageait alors la vie d'Higelin – tout ce petit monde s'étant croisé au château d'Hérouville, studio d'enregistrement très prisé, et regretté. De là à y voir un fil invisible…
Et même s'il n'y en avait pas, qu'importe. Trente ans et des poussières après mon premier séjour en Angleterre, je ne peux pas entendre Boys keep swinging sans ressentir une sorte d'euphorie libératoire. Je l'ai réécouté avant d'écrire ce petit texte. L'effet est toujours le même.

Heroes, par Emmanuel Tellier


Il y aurait tant à dire à propos de Heroes – la chanson. Des tas d'hypothèses pour tenter d'expliquer pourquoi, et en quoi, ces six minutes de grâce électrique se distinguent dans la discographie de Bowie. Osons une piste, une seule : si Heroes est unique, c'est parce que Berlin y joue tous les rôles. Environnement esthétique et symbolique ; lieu de travail propice à l'immersion ; mais aussi sujet effleuré dans les paroles – « I, I can remember (I can remember)/Standing, by the wall (by the wall)/And the guns shot above our heads » – et enfin terrain d'aventures pour les musiciens la nuit venue.
La chanson a été enregistrée (et en grande partie écrite) au 38 Köthener Straße, dans le quartier de Kreuzberg. Drôle de bâtiment colossal et pompeux, avec ses colonnades ioniques façon décor de carton pâte. Absolument pas le genre d'endroit où l'on imaginerait trouver un studio – et encore moins un studio aussi mythique que Hansa, fondé en 1965 puis réinstallé dans l'immeuble en 1976.
Aujourd'hui encore, Hansa y occupe deux étages, le reste étant divisé entre les bureaux de diverses petites entreprises. Quand on a la chance de visiter les lieux, on passe d'abord par le quatrième étage. S'y trouvent les cabines de mixage et quelques salles de prise de taille classique. Mais en 1977, lorsque Bowie vint y enregistrerHeroes, c'est une autre pièce, située au premier étage et beaucoup (beaucoup !) plus volumineuse qu'il avait en tête. Il s'agit en fait d'une ancienne salle de réception, bâtie en 1910, et utilisée par les nazis pour des bals entre 1934 et 1944. Incroyable lieu, incroyable atmosphère… Très solennelle. Avec, à l'époque, une vue imprenable sur le Mur.
Quand je pense à Bowie, c'est la première image qui me vient. Lui, si frêle, dans cette incroyable salle de bal, cette sorte de cathédrale figée dans le temps, intimidante et chargée d'une lourde histoire. Je pense aussi à Robert Fripp, dont on dit (légende ou vérité ?) qu'il enregistra toutes ses guitares pour l'album en une seule journée. Je ne crois pas qu'il existe d'images vidéo des prises de Heroes, mais on peut voir Bowie dans la salle de bal sur cet étrange petit clip pour Sense of doubt.
Iggy Pop – à la même époque que Bowie, en 1977 –, Nick Cave, Tangerine Dream, Nina Hagen, Killing Joke et bien sûr Depeche Mode et U2 ont aussi beaucoup fréquenté Hansa Studios, mais d'après ce que m'ont expliqué les ingénieurs du son « résidents », rares sont ceux qui ont osé enregistrer dans la salle de bal, si impressionnante – et pas forcément facile à domestiquer.
Aujourd'hui, la salle est surtout redevenue un lieu de réception, pour des fêtes ou des réunions publiques. Sauf quand des groupes insistent pour y poser leurs instruments, comme ici les Américains de REM :

Le vidéoclip de Ashes to ashes, par Jacques Morice


Il faut se replacer dans le contexte, antédiluvien. Pas de YouTube, ni même de MTV. Trois chaînes publiques de télévision. On est au tout début des années 80. A peine pubère, je viens d'acheter mon premier Bowie, l'album Scary Monsters, chez New Rose (disquaire mythique s'il en est, rue Pierre-Sarrazin, à Paris), la peur au ventre – des skins rôdaient dans le coin. Je l'écoute en boucle. Et je ne sais plus dans quelle émission (L'écho des bananes ?), je tombe sur ce magma rougeoyant : paysage lunaire, océan d'encre, grotte des origines, et Bowie en Pierrot lamé d'argent. C'est quoi ce truc ?
Un concentré nucléaire d'images venues d'ailleurs, au diapason exact du synthé cristallin et des secousses puissantes de la basse funky. Fusion de la musique et de l'image. Illumination. Solarisation. Un choc. Une première. C'est subliminal. Ça va très vite. A peine vu, je rêve de le revoir, ce vidéoclip. Sauf qu'à l'époque, c'est impossible. Il m'a fallu attendre plusieurs mois pour retomber dessus.
Le vidéoclip (on ne disait pas encore « clip »), on commençait juste à en parler. On en voyait encore très peu. Alors même que ce mode d'expression était balbutiant, Bowie fait plus qu'y exceller. Nourri sans doute d'art vidéo, curieux de tout, éponge vivante, il absorbe, récrée et recycle à merveille, signant avec David Mallet (co-réalisateur) un prototype stupéfiant de modernité.
Aujourd'hui que je peux le revoir dix fois de suite, je suis frappé par les audaces formelles (la magie liquide des images incrustées) et par la profusion des symboles. La claustration de l'addiction, la tendresse de la vieillesse (ah ! cette vieille dame maternelle, qui marche sur la plage aux côtés du chanteur couvert de cendres), la parade annonçant les Nouveaux Romantiques (dont feu Steve Strange !), le mime et l'homme-marionnette, l'ombilic des limbes et son fœtus adulte, l'enfance exhumée… Et puis, il y a bien le bulldozer pour faire table rase.
Place au nouveau son, nouvelle image, nouveau code, nouvelle manière de penser. Nul document visuel, mieux que ce clip, ne canalise de manière aussi dense et flamboyante le balayage pur et simple des années 70 en consacrant l'avènement d'une nouvelle ère, technologique et esthétique.

Life on Mars, par Emmanuelle Anizon


C'est le premier vrai gros concert de ma vie, et mon premier vrai gros chagrin d'ado. J'ai eu 15 ans la veille. La vie est belle, je vais voir avec mes copains LE chanteur qui occupe les murs (évidemment) noirs de ma chambre. J'ai tous ses albums, je l'écoute en boucle, j'en suis dingue.
J'arrive très en avance, en tout début d'après-midi pour avoir une bonne place. J'attends des heures sous un soleil de plomb, au pied de la scène. Je résiste à la pression de la foule. Aux coudes de ces gars qui piétinent mon 1,62 mètre, pour me piquer ma toute petite place. Je découvre l'étrange spectacles des filles qui s'évanouissent et dont on exfiltre les corps inanimés.
Je résiste. J'écoute dans un état second Come on Eileen, des Dexys Midnight Runners. Je perds de vue mes copains, je suis en nage, j'étouffe, je n'ai plus de corps, mais je ne lâche pas. J'ai raison : vers 21h – enfin, j'imagine, je ne sais pas où est mon bras, encore moins ma montre – il arrive. « Bonjour Paris », dit-il. Une heure de concert (bon, peut-être plus, mais pas beaucoup). « Au revoir Paris ».
La claque. Je suis venue rencontrer Ziggy dingue, rebelle et subversif, je me retrouve face à un minet minaudant méché. J'attendais Life on Mars, j'ai Let's dance. Pas de folie. Rien que du lisse, pro et marketé. J'ai été trahie. Cœur gros. Fin de ma carrière de groupie. Depuis, je continue d'écouter Life on Mars chez moi. Mais je ne suis plus jamais allée à un concert de David Bowie. Trop Déçue.

Rendez-vous manqués, par Jean-Baptiste Roch


Entre David Bowie et moi, l’histoire se résume à une enceinte de ciment et un léger contentieux avec La Poste. Ma première rencontre avec lui remonte précisément au 14 juin 1997 au festival Rock à Paris – l’ancêtre de Rock en seine – : l'écrin en béton armé du Parc des Princes broie les envolées électro d'Earthling, son dernier album en date, dans une bouillie de basses à réveiller les morts. Je ne connais alors pas bien sa musique et je ne dois ma présence qu'à l’insistance de mon père pour effectuer avec lui le pèlerinage sacré. Ce concert reste marqué pour moi du sceau de l'ennui et de l'inaudible. Trop jeune, trop peu préparé.
Six ans plus tard, c'est une autre histoire. J'ai épluché une bonne partie de sa discographie et je viens de faire l'acquisition des fantastiques sessions à la BBC. Les disques tournent en boucle sur ma platine. Je peux dire qu’à ce moment-là, je ne jure que par Bowie. Alors quand j'apprends l’annonce d’un concert unique à Paris le 23 octobre 2003 (Reality Tour), je ne réfléchis pas deux secondes avant d'alerter mon père. Une heure plus tard, nous sommes les heureux détenteurs de deux places dans la fosse de Bercy.
Dans la rue royale du vieux Lille, où je fête plusieurs fois par semaine mes études de Sciences politiques, les guitares de Mick Ronson résonnent un peu plus fort ce soir-là. Mais pour une raison qui m’échappe encore aujourd’hui, nous décidons qu'il est préférable d’arriver chacun dans la capitale avec notre place en poche. Et donc, qu'il est plus judicieux de faire parvenir la mienne à Lille, par la Poste.
Vous devinez la suite : je n'ai jamais reçu cette place. Entre-temps, le concert a vite affiché complet, évidemment. J'ai eu beau passer deux jours entiers dans le bureau de poste de mon quartier, à proposer tous mes biens et ma famille en contrepartie d’une enquête fouillée sur l’ensemble de l’espace Schengen, aucune trace de ladite lettre ni de la place glissée à l’intérieur. Envolées, évaporées.
De dépit, et dans la hantise de se retrouver potentiellement aux côtés de l’heureux bénéficiaire du larcin, mon père en a sans doute mangé la sienne. Il ne s’est même pas rendu à Paris ce 23 octobre. Depuis ce jour, je n'ai plus jamais eu l'occasion de voir David Bowie sur scène.





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