vendredi 13 avril 2018

Elena Ferrante / Tu veux bien être mon amie prodigieuse ?


Tu veux bien être mon amie prodigieuse ?

Un inconnu, un lieu, un livre… De rame en rame, les fillettes italiennes nées de la plume survoltée d’Elena Ferrante courent entre les mains des voyageurs. Et trouvent de nouvelles copines. Comme la dame au rouge à lèvres rouge.
Un internaute amateur de verres aux trois quarts vides fait remarquer, en commentaire du précédent billet, que les passagers du métro lisent moins souvent qu’ils ne jouent à Ecrase-bonbon. Certes, mais si on regarde bien, on observera qu’ils se livrent en ce moment à une autre activité moutonnière, voire « furetière », bien plus plaisante. En effet, depuis quelque temps, un furet venu du Sud court entre les mains de lecteurs anonymes. Un même livre de poche s’exhibe partout, dans les wagons, sur les quais, dans les halls de gare et les salles d’attente. Il n’y a pas écrit Guillaume Musso sur la couverture, ni Gilles Legardinier, ni Marc Levy. Juste la photo en noir et blanc d’une fillette campée sur ses deux jambes écartées, la tête en virage pleine vitesse, les hanches en turbine à l’intérieur d’un hula hoop. Et derrière elle, une autre gamine qui rigole, avec ses collants trop grands pour elle. Laquelle est « l’amie prodigieuse » annoncée par le titre du livre ? Peu importe : toutes deux sont devenues les amies prodigieuses d’une foule de lecteurs qui n’avaient pas du tout prévu de se laisser embarquer par ces pipelettes italiennes d’une autre époque. Il ya deux ans, le nom d’Elena Ferrante était inconnu à tous ces gens, les plus cultivés confondaient avec Elsa Morante, les plus incultes croyaient qu’il s’agissait d’une marque de vêtements. 
Pour l’instant, tout le monde en est au Tome 1, sous la terre parisienne. Pourtant, le tome 2 est paru en poche aussi, mais la majorité des lecteurs rencontrés n’a pas encore dépassé la page 35. Il faut dire que la concentration est requise, pour s’immerger dans ce vivier napolitain. La romancière a d’ailleurs prévu un glossaire des personnages, en début de livre, pour faciliter la circulation. Et si on ne s’accroche pas, on a vite fait de se faire éjecter de l’histoire, comme les petites héroïnes se font littéralement jeter par la fenêtre de chez elles !

La dame qui lit dans le métro est une nouvelle venue dans la bande des filles. Une nouvelle copine d’Elena et Lila. Rouge à lèvres appuyé, alliance en évidence, elle a besoin de montrer qu’elle est une femme. Plutôt tome 2 que tome 1, donc, comment réagira-t-elle face aux (més)aventures matrimoniales de Lila ? L’épisode arrivera vite. Car Elena Ferrante a la plume qui vole, la plume qui survole parfois, la plume qui file dans le vent. Sa littérature se lit à toute allure. C’est peut-être le secret de son succès. Cette femme est de son temps, car elle ne prend pas le temps. La lire donne l’impression de se passer Rocco et ses frères en accéléré. Sous contrôle, raide et mesurée, la lectrice du jour n’a pas l’air du genre à laisser ses futurs enfants brailler dans la cour de son immeuble. Elle tient un billet de la Philharmonie comme marque-page. Plus andante qu’allegro, sa partition de vie. Pas sûr que cela colle longtemps avec l’amie prodigieuse.


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